vendredi 10 août 2007

Catalogue Original 1963


Nous vous présentons ici le catalogue du Conjunto Folklórico Nacional, édité en 1963. Ce document de 70 pages comporte de nombreuses et magnifiques photos que nous re-produisons ici, pour la plupart. Elles sont à l'origine en noir et blanc, et nous les avons retouchées en "sepia". Ce qui signifie que toutes les photos qui ici ne sont pas en sepia ne proviennent pas du catalogue original.
Il présente également les principaux acteurs du CFN, dont vous pourrez retrouver les portraits dans l'article "Membres-Fondateurs", un peu plus plus bas.

Vous pourrez également TÉLÉCHARGER ce document au format PDF en cliquant ICI. Une fois sur la page de Rapidshare, cliquez sur la case "Free" en bas à gauche de la page, puis entrez le code qu'on vous demande de taper, en respectant majuscules et minuscules, puis cliquez sur "download via… etc".

Nous allons ici citer ce qui nous paraît être le contenu le plus essentiel du texte original inclus dans le catalogue, en le traduisant et en le citant entre guillemets, et en italique. Nous en respecterons l'orthographe et les idées, même si nous sommes parfois en désaccord avec l'une et les autres - vous pourrez constater que nous emploierons une orthographe souvent différente.
Rappelez-vous que vous pouvez agrandir les images en cliquant tout simplement dessus.


(Détails d'un bantel, ou "bante", sorte "d'habit de cérémonie" recouvrant chacun des tambours batá pendant les rituels)


Les fragments de banteles reproduits ci-dessus sont extraits de photos prises par Fernando Ortiz en 1954. On peut voir ce bantel dans son entier soit dans "Los Instrumentos de la Música Afrocubana - vol.IV", soit dans l'ouvrage de John Mason "Orin Oricha" (Ed. YTA) - tout au moins dans sa seconde édition, puisque la première ne comporte aucune photographie.

(Tambours revêtus de leurs banteles, Coll. Fernando Ortiz)




"Publication du Conseil national de la Culture
Textes: Rogelio A. Martínez Furé
de l'Institut d'Ethnologie et de Folklore
de la Comission de l'Académie des Sciences de Cuba
La Havane. 1963"



"¡Aquí estamos!
La palabra nos viene húmeda de los bosques
Y un sol enérgico
Nos amanece entre las venas

¡El puño es fuerte
Y tiene el remo!

En el ojo profundo duermen palmeras exorbitantes
Y el grito se nos sale como una gota de oro virgen

Nuestro pie,
Duro y ancho
Aplasta el polvo en los caminos abandonados
Y estrechos para nuestras filas.
Sabemos donde nacen las aguas,
Y las amamos porque empujaron nuestras canoas
Bajo los cielos rojos.

Nuestro canto
Es como un músculo bajo la piel del alma
Nuestro sencillo canto.

Traemos el humo en la mañana,
Y el fuego sobre la noche,
Y el cuchillo como un duro pedazo de luna,
Apto para les pieles bárbaras;
Traemos los caimanes en el fango,
Y el arco que dispara nuestras ansias,
Y el cinturón del Trópico,
Y el espíritu limpio.

Traemos
Nuestros rasgos al perfil definitivo de América"
..................
.............

"(Nicolás Guillén)"


"Nous voilà!
La parole nous arrive toute humide du fond des forêts
Et un soleil vigoureux
Se lève dans nos veines

Le poing est fort
Et tient fermement les rames!

Dans l'oeil profond dorment des palmeraies éxubérantes
Et le cri sort de nos gorges come une goutte d'or pur

Notre pied,
Ferme et large
Piétine la poussière des chemins abandonnés
Trop étroits pour nos colonnes
Nous savons où naissent les eaux,
Et nous les aimons car elles poussent nos canoës
Sous les cieux rouges.

Notre chant
Est comme une muscle sous la peau de l'âme
Notre simple chant

Au matin nous portons la fumée
Et à la nuit le feu
Et le couteau comme un morceau coupant de lune,
Qui sied aux peaux barbares
Nous portons le caïman dans la boue,
Et l'arc qui propulse nos angoisses,
Et la ceinture du Tropique,
Et l'esprit limpide.

Nous portons
Nos traits au profil définitif de l"Amérique
.................
............

Ce plaidoyer de Nicolás Guillén qui ressemble à un chant de guerre - rappelons que nous sommes à l'époque du "triomphe de la Révolution" - associe sans les citer vraiment Indiens Caraïbes, Noirs, Blancs et Métis, dans une grande nation cubaine.
Elle revendique une "id-entité" du peuple cubain, pour dire à tous les Cubains et au Monde entier: "notre peuple est un, il est en marche, il est Cuba et il est Américain".
Cela signifie plusieurs choses en ce qui concerne les communautés à Cuba et leurs traditions: il n'y a plus de traditions des noirs, ni de traditions des blancs, mais seulement des traditions cubaines qui appartiennent à tous et qui sont toutes cubaines à part entière.
Ce texte justifie à lui tout seul l'existence d'un folklore national(-isé), ce qui, nous le verrons plus loin, posera problème: les musiques noires (essentiellement rituelles), tout comme celle des blancs les plus humbles, sont dignes d'intérêt aussi bien sur le plan artistique (elles sont "nationalisables", transformables, ont peut donc en faire quelque chose de contemporain - associé au besoin aux "arts actuels" de l'époque), que sur le plan scientifique (on les étudie, on les classe, on les compare à leurs sources africaines qu'il devient souhaitable de retrouver).

Célèbre gravure représentant les "mascarades" du Día de Los Reyes - Épiphanie - est partiellement reproduite dans le catalogue.
Ce jour-là, on autorisait souvent les "Cabildos" - Associations d'esclaves - à parader, revêtus non-pas de "masques" (ni "déguisés"), mais de leurs costumes traditionnels. Nous verrons plus loin comment cette gravure a inspiré les créateurs de décors du CFN.


"Le Conjunto Folklórico Nacional est destiné à satisfaire une necessité pour notre pays, qui ne possédait pas d'institution capable de reproduire les danses et les musiques de caractère national et de les intégrer de manière définitive à la nouvelle culture socialiste.
Les préjugés et l'abandon officiel de ces cultures, pratiqués par les régimes du passé on fait que le peuple cubain méconnaissait ses propres manifestations folkloriques, malgré la richesse extraordinaire des trésors culturels qui existaient dans tous les coins de l'île.
La re-valorisation et la divulgation de ce patrimoine culturel est un des buts essentiels du processus révolutionnaire, puisque c'est seulement ainsi que l'on obtiendra une culture véritable, qui puisse refléter la réalité historique de notre peuple.
LE CONJUNTO FOLKLÓRICO NACIONAL est chargé de remplir cette fonction, tant sur le plan de la musique que de la danse, et de choisir parmi elles les plus remarquables sur le plan de la valeur artistique, pour ensuite les organiser, en accord avec les exigences théâtrales les plus modernes, sans trahir pour autant leur essence folklorique. Ainsi la mission du CFN ne se limitera pas à la simple présentation de spectacles. Elle sera également d'accomplir des missions d'investigation dans tout le pays, revitalisant ou sortant de terre des styles anciens, en unissant le traditionnel aux nouvelles tendances surgies du peuple, fouillant dans le passé et faisant une synthèse du présent".



"NOTRE FOLKLORE"

"Par-dessus les restes de la population aborigène exterminée par les conquistadores, a commencé à naître une nouvelle population cubaine, produit de la fusion d'éléments espagnols et africains.
Les différentes traditions, croyances et coûtumes apportées par ces immigrants, s'étant transformées à Cuba, et s'étant adaptées aux cadres économiques, sociaux et géographiques imposés par le nouveau territoire, elles se sont adaptées pendant quatre siècles à ce qui serait la culture nationale.
Dès le moment où les esclaves ont reconstruit leurs tambours en utilisant des bois cubains, dès le moment où ils ont transmis la technique de leurs rythmes sacrés à leurs enfants créoles, dès ce moment est née de leurs mains la culture cubaine. Dès l'instant où les conquistadores ont intégré à leur vocabulaire des tournures de phrases ou des noms apparus dans notre île, ils ont construit la culture cubaine.
Les générations passées ont entamé un long processus d'assimilation et de rejet des différentes formes culturelles, jusqu'à ce qu'elles rencontrent celles qui exprimaient fidèlement la nouvelle réalité insulaire: la cubanité. De plus, de la constante confrontation entre les classes sociales coloniales et de leurs intérêts économiques opposés, est lentement née la nationalité.
Avec le temps, des apports franco-haitiens, asiatiques, nord-américains sont venus s'unir aux racines hispaniques et africaines, Mais le peuple cubain a toujours su transformer et apposer son sceau caractéristique à tous ces emprunts culturels, enrichissant ainsi notre style de vie.
Les premiers éléments hispaniques sont entrés à Cuba en 1511 avec les conquistadores. C'est de Castille, d'Estrémadure et d'Andalousie que vinrent les premiers colons qui implantèrent leurs coûtumes. Puis, pendant les siècles suivants, en vagues discontinues, sont venues se mélanger aux premières les coûtumes d'autres régions d'Espagne (Canaries, Gallice, Catalogne, etc…).
Les immigrants européens traversèrent l'Atlantique, avides de fortune et titres de noblesse, et ainsi tout ce qui était lié à la vie rurale et aux origines humbles représentait pour eux des obstacles. Pour cette raison, ils adoptèrent rapidement les habitudes de la culture officielle, abandonnant leurs coûtumes régionales.
À cause de cette fusion et de cette "sédimentation" des apports hispaniques, il est devenu impossible de préciser la provenance exacte des manifestations de notre folklore qui sont indubitablement d'origine hispanique, comme le zapateo ou le punto guajiro".


"Les esclaves ont été transportés à Cuba, dès les premières années du XVIe siècle jusqu'à la fin du XIXe siècle. Et depuis l'obscurité des barracones ou depuis les cabildos ils influaient directement et indirestement sur la vie cubaine. Ils provenaient d'aires culturelles africaines très diverses, qui allaient de simples organisations tribales, à des royaumes parfaitement organisés, qui n'avaient pas les mêmes langues, coûtumes, ni concepts religieux.
Près d'une centaine de tribus différentes entrèrent à Cuba pendant les quatre siècles que dura le traffic négrier. Néanmoins, les quatre cultures dominantes, qui englobèrent ensuite les autres, minoritaires, et qui ont apporté des éléments substanciels à notre nationalité sont au nombre de quatre: les Yorubas (ou Lucumíes), les Congos, les Carabalies et les Ararás. Nombre de leurs modes de vie se sont adaptés au milieu cubain et ont continué à évoluer dans notre pays, indépendamment de la culture africaine originelle, acquérant de nouvelles caractéristiques propres.
L'Africain s'est accroché, à Cuba, au peu de choses qu'il avait pu sauver de sa culture, pour maintenir son intégrité, seul lien avec son ancienne liberté, et sa condition humaine, niée par les esclavagistes".


"Bien que les cabildos - confrèries à caractère religieux ayant également pour but l'entraide entre esclaves - étaient autorisés par les gouverneurs coloniaux afin d'augmenter les divisions et les rivalités entre les différentes tribus ou nations africaines de Cuba, ils constituaient également le moyen qui permettait que leurs différentes cultures puissent se conserver jusqu'à nos jours, sans perdre leurs éléments distinctifs, et, une fois éliminées les entraves politiques et sociales de la colonie, puissent s'intégrer à la vie de la nation.
Indéniablement, l'élément religieux a joué un rôle important dans la création d'un grand nombre de manifestations de notre folklore. Si dans la vie espagnole il était un facteur déterminant, passé en Amérique avec les conquistadores, dans celle des peuples africains il constituait le centre de toute la culture, conditionnant l'organisation politique et sociale, les danses, les nourritures, les noms, etc…
Aujourd'hui encore on observe dans quelques manifestations de notre folklore - peut-être dans les plus spectaculaires - la permanence de cet élément religieux. Dans le passé il constituait un moyen d'évasion des masses opprimées face au régime esclavagiste et exploiteur. Dans les époques plus proches de nous il constituait un résidu des contradictions économiques et sociales que maintenaient les gouvernements républicains.
Mais en même temps que ces créations à caractère religieux notre peuple a également élaboré des formes profanes, dans lequelles il pouvait s'exprimer sans recourir a l'évasion mystique.
Ces éléments ont donné à notre folklore une variété et un caractère unique, à travers lequel s'est reflété avec fidélité l'idiosyncrasie cubaine" (…).


Si le discours de R.M. Furé - dont les noirs de Cuba ne manqueront pas de rappeler qu'il est "mulâtre" (à peau claire) et donc membre d'une classe sociale plutôt élevée qui ne pratique pas, à priori, les religions afro-cubaines - si son discours, donc, peut laisser facilement transparaître un jugement de valeur négatif à propos des religions afro-cubaines, et si encore sa pensée peut ne pas sembler très différente de celle qui était de mise quelques décennies auparavant, n'oublions pas pour autant de les replacer dans le contexte de l'époque.
En effet nous sommes, au moment où Furé écrit ce texte, à peine sortis de la "crise des missiles" qui a placé Cuba sur le devant de la scène internationale. À cette époque Fidel Castro a non seulement bouté l'envahisseur américain hors de l'île, mais encore il a nationalisé tous ses biens, vaincu militairement une armée soutenue par Washington dans la Baie des Cochons, et ainsi quasiment forcé le président Kennedy à baisser les bras, militairement du moins.
Cuba est passée en quatre ans du statut de petite "république bananière" à celui de "rival" des grands du Monde. Fidel Castro, dont les décisions ne souffrent pas de contestation, est alors en train de moderniser Cuba à grande vitesse. Les progrès de la Révolution (santé, éducation, partage des terres…) sont sans précédents. Il est hors de question à l'époque que Cuba pense autrement que comme une nation où, comme dans les autres nations modernes, priment le progrès technique, scientifique et une pensée "contemporaine" avant-gardiste. Et même dans le discours de Furé, qui est un grand amoureux des traditions afro-cubaines, cette ligne de conduite transparaît: il s'agit de "choisir parmi elles (les traditions afro-cubaines) les plus remarquables sur le plan de la valeur artistique, pour ensuite les organiser, en accord avec les exigences théâtrales les plus modernes, sans trahir pour autant leur essence folklorique". Nous verrons plus loin comment la 'trahison' a posé problème a de nombreux pratiquants des cultes intégrant le CFN.
À cette époque - ce qui ne sera plus forcément vrai ensuite - l'athéisme du régime et de la Révolution dans son ensemble est officiel. Il est donc hors de question que les religions afro-cubaines soient considérées comme autre chose que de simples superstitions néfastes. Mais, ne soyons pas dupe, le régime castriste sait très bien ce que représentent les religions afro-cubaines pour la société cubaine dans son ensemble, et il est bien conscient que leur erradication est fastidieuse, voire impossible. Cependant, à cette époque rien ne saurait effrayer un régime qui a fait reculer les USA.
À la lumière de ce nouvel éclairage, remis dans son contexte, le discours de Furé nous apparaît moins rétrograde et même un peu plus courageux vis-à-vis des instances révolutionnaires qu'il n'y parait au premier abord. À l'époque, les traditions artistiques afro-cubaines sont admises dans leur totalité dans le giron national. Ce n'est pas encore le cas des religions afro-cubaines.



"LES YORUBAS OU LUCUMIES"

"Pièce de métal qui représente Oggún, le dieu de la guerre"


Il faut préciser ici que si le métal représente bien Ogún, ce sont bien les quatre "Orichas guerriers" sont représentés ici:
-Eleguá (dont l'attribut est le "garabato" - bâton crochu, or on voit bien à la base de l'ensemble des tiges de métal dont l'extrémité est recourbée).
-Ogún (et ses outils de métal: on voit ici une pelle, une hache…)
-Ochosi (représenté par l'arc et la flèche) et
-Osun (qui surmonte le tout, par un coq de métal).

"Atcheré ou maruga pour saluer les Saints"


Il nous faut encore préciser que l'acheré "végétal" tel qu'il est représenté ici est utilisé plus précisément pour "appeler les Saints" (les Orichas), encore qu'on ne joue pas l'acheré pour tous les Orichas, mais seulement pour Eleguá, Ogún, Inle, Oricha Oko, Dadá, Oke, Korinkotó, Ibeyí, Agayú, Changó et Obba. L'acheré représenté ici est visiblement décoré aux couleurs d'Eleguá (rouge et noir).
L'acheré de Yemayá, Oyá et Yegguá est censé être fait de métal. Pour les autres Orichas on utilise des cloches spécifiques de chacun d'eux.

"Tambours batá"


"Éventails (abebes), marugas (atcherés) et güiros (abwes ou shekeré)"


"La Santería est une forme de religion cubaine née du syncrétisme entre des rites anciens yorubas du Nigeria occidental et des éléments du culte catholique.
Les différents cultes africains arrivèrent séparément à Cuba pendant la traite nègrière, puis se réorganisèrent à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle. Le contact avec la religion des espagnols a fait qu'ils assimilèrent certains éléments catholiques, pour pouvoir survivre sous le régime esclavagiste.
Pour l'esclave yoruba ou lucumí il n'a pas été difficile d'identifier des divinités anciennes - les orishas - avec certains Saints catholiques, dont certains éléments tels que les couleurs, les attributs, ou des fragments de légendes, en de nombreuses occasions, présentaient de grandes similitudes avec ceux des orishas. Par exemple, Shangó, dieu de la virilité, du feu et des éclairs, possédait certains éléments qui facilitèrent sa comparaison avec Santa Bárbara (Sainte Barbe, ndt), vierge catholique. Chez les deux personnages le rouge tenait une grande importance, l'éclair et la guerre étaient présents dans des épisodes de leur histoire, et même la différence de sexe, qui aurait dû constituer un obstacle à cette identification, a contribué à la faciliter, car dans une de ses légendes, Shangó échappa à ses ennemis en se déguisant en femme.
Résultat du choc de ces deux cultures, et moyen d'évasion du système économique qui l'exploitait, un être défini est né dans l'esprit simple de l'homme réduit en esclavage, mélange de l'orisha et du Saint catholique, même si ses principales caractéristiques restaient africaines. On peut observer cette ambivalence, à l'usage indifférent qu'on fait des noms (Santa Bárbara ou Shangó), à l'emploi d"images pieuses catholiques dans les cérémonies à caractère public, ainsi qu'à l'emploi de certains passages de légendes d'origine chrétienne qui sont parfois intercalés dans les mythes africains de Cuba.
Cette forme de religion populaire est connue vulgairement sous le nom de Santería (la "Sainterie', terme légèrement péjoratif, ndt.), car tout le culte tourne autour de l'adoration des Saints, en acceptant la connotation syncrétique contenue dans ce terme. Les pratiquants la nomment également Regla de Osha, c'est à dire Culte des orishas.
Dans la Santería existe le concept d'un Dieu Suprême, Olofi, mais on l'adore pas directement, vu que "les problèmes des hommes ne l'intéressent pas". On ne fait que simplement l'invoquer. Par contre, les orishas ou dieux sont des intermédiaires entre Olofi et les hommes, car ils ont les mêmes qualités et défauts des humains, mortels."


"Le cercle, signe millénaire de la fécondité"


"Il y a des orishas de la virilité, de l'océan, des eaux douces, de l'agriculture, etc… la majorité d'entre eux ayant un équivalent catholique.
Les dieux possèdent une couleur, une marque ou nombre symbolique, des objets spécifiques, intimement liés à leur personnalité, et en accord avec lesquels ont élabore leur costume, et les instruments de leur culte.
N'importe lequel de ces éléments est à lui seul assez important pour que sa seule présence suffise à exprimer tous les concepts métaphysiques qui symbolisent les orishas. La simple couleur blanche évoque le dieu créateur de la terre et du genre humain (Obatalá, ndt.); un morceau de cuivre évoque la déesse des éclairs et des tornades (ou Ochún, ndt). Le chiffre sept représentera Yemayá, la déesse des eaux salées.
Il existe tout un ensemble complexe de rites et de préceptes qui régissent la vie des pratiquants et qui déterminent de quelle manière ils vont s'habiller ou ce qu'ils vont pouvoir manger, jusqu'à leur relation avec les autres personnes. Il n'existe pas d'aspect de la vie de l'homme qui ne soit pas pré-établi par les mythes et les règles religieuses.
Il y a dans les fêtes de la Santería des chants et des danses en honneur des orishas qui sont d'une grande beauté, qui ont enrichi notre folklore.
Dans les cérémonies majeures on joue les tambours Batá, intruments considérés comme sacrés, puisqu'ils sont censés contenir la divinité Añá. Les Batá sont trois tambours bimembranophones, dont le corps est taillé dans des bois spéciaux, de préférence en cèdre ou en acajou. On joue simultanément sur les deux peaux.
Leur forme rappelle les clepsydres ou les sabliers, et possèdent un système de tension utilisant des tirants en peau de taureau, employée à Cuba pour ces seuls tambours.
À cause de leur caractère sacré, ils sont l'objet d'un traitement spécial: leurs peaux ne peuvent être tendues au feu, les femmes ne peuvent s'en approcher, et ils ne peuvent être joués que par des joueurs de tambour initiés à cette fonction (olú batá). Ces trois tambours ne peuvent jouer séparément. Le principal, qui occupe toujours la position centrale, se nomme Iyá, ce qui signifie "mère". Ses membranes sont entourées de deux ceintures remplies de petites cloches et de grelôts, qui sont appelées Shaguoró. Le tambour medium se nomme Itótele et le plus petit Okónkolo".


"Sculpture ancienne de Shangó"


"Le système de tension spécifique des Batá"


"Sur les peaux les plus grandes de l'Iyá et de l'Itótele, se trouvent des cercles de pâte faite d'un mélange spécial, appelé faddela ou idá, qui, en dehors de sa fonction liturgique, permet de rendre le son plus grave.
La complexité des rythmes que l'on reproduit avec ce trio de tambours est extraordianire, si l'on tient compte de la variété des coups frappés sur chaque peau, auxquels s'ajoute le son produit par les sonailles des Shaguoró.
Tous les chants de Santería sont responsoriaux. Le soliste ou akpwón lance une phrase qui est répétée par le choeur, et cette structure antiphonale se répète tant que dure le chant. La langue yoruba s'est maintenue exclusivement comme langue rituelle.
Dans les chants on raconte les différents récits de la vie des orishas, ou bien ils constituent des hymnes de louanges à leurs pouvoirs. Leurs lignes mélodiques sont riches et élaborées.
Les danses qui accompagnent cette musique sont de caractère mimétique, chaque chant coorespondant à un pas de danse et à des gestes spécifiques, qui expriment le caractère de la divinité ou des passages de certaines légendes. On danse en cercle, dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, ou en lignes parallèles qui avancent et reculent face aux tambours.
Dans ces fêtes intervient le phénomène de la possession, où quelques-uns des croyants se transforment en véhicules des divinités, accomplissant des prophéties, conseillant ou réprimandant les fidèles présents. Cette étape se nomme "être monté" ou "être chevauché par le Saint". L'individu perd alors sa personnalité et adopte la personnalité supposée du dieu, ses attitudes, ses paroles et ses gestes habituels.
Les danseurs possédés utilisent des costumes propres à chaque orisha, ainsi que les attributs qui le caractérisent, donnant ainsi à ses danses plus de force et de liberté de mouvements" (…).


Précisons ici que dans une même cérémonie, un Saint ne peut "venir" qu'une fois, dans le corps d'un seul fidèle. Parmi les différents fidèles d'un même Oricha, un seul sera en quelque sorte "élu". Plusieurs Saints distincts peuvent "descendre" dans une même fête, mais il ne peut y avoir qu'un Eleguá, un Changó ou une Oyá à la fois.

"LES PRINCIPAUX ORISHAS DE LA SANTERÍA SONT:".

(Librada Quesada dansant Eleguá)


-"ELEGGUÁ".
"Il est l'orisha des chemins et le propriétaire des carrefours. Toutes les fêtes ou cérémonies de la Santería commencent avec un chant ou une invocation à cette divinité. On le considère comme un Dieu de caractère espiègle, amateur de plaisanteries.
Parce qu'il est le propriétaire des chemins, on lui fait en premier des offrandes pour favoriser le bon déroulement des fêtes. Ses couleurs sont le rouge et le noir, et son attribut le garabato (bâton, ndt.), une branche d'arbre de forme crochue, à l'aide duquel le danseur dans son pas s'ouvrira symboliquement le chemin, en écartant le mal.
Il est syncrétisé avec l'Enfant Saint d'Antioche, avec Saint Antoine de Padoue y avec l'Âme Solitaire (du purgatoire, ndt.)."



(Gerardo Pelladito dansant Ogún © David Brown)


-"OGGÚN".
"C'est le Dieu des métaux, de la forge, de la nature sauvage, de la guerre. Dans toutes les cérémonies de la Santería on chante pour lui et on lui fait des offrandes après Eleguá. Ses danses sont généralement à caractère guerrier, le danseur brandissant une machette qui le symbolise.
À La Havane on l'associe à Saint Pierre. Sa couleur est le marron."



(Danseur inconnu du CFN dansant Babalú Ayé)


-"BABALÚ AYÉ".
"Il est le propriétaire des maladies et des plaies. C'est un Orisha difforme et plein de pustules. Dans sa danse il imite les mouvements d'un homme malade, aux mains engourdies et aux mouvements douloureux. Son équivalent catholique est Saint Lazare".



(Alfredo O´Farrill dansant Changó © David Brown)


-"SHANGÓ".
"Il est le Dieu de la virilité, du feu, des éclairs, des tambours. Sa couleur est le rouge. On l'associe à Sainte Barbe".



-"IBEYIS".
"Ils sont les dieux des enfants. Selon la légende ils sont les enfants jumeaux de Shangó, le Dieu des éclairs, et d'une de ses femmes (Oshún ou Oyá). Ils sont joyeux, ils aiment la gourmandise. On les représente par deux petites poupées unies par le cordon ombilical ou par les Saints catholiques jumeaux, Saint Cosme et Saint Damien".



-"OCHOSI".
"Il est le troisième des Saints guerriers, selon le trio: Elegguá, Oggún et Oshosi, avec lequel on commence les cérémonies de Santería. Il est considéré comme le Dieu de la chasse et il est représenté par un arc et une flèche. Dans la danse, on reproduit les mouvements du chasseur aux aguets.
Il est identifié à Saint Norbert".



(Pedro Domech du groupe Raices Habaneras dansant Obatalá)


-"OBATALÁ".
"Il est le Dieu créateur de la Terre et des hommes, de la justice et de la pureté. Dans ses danses on le représente avec les mouvements d'un ancêtre éternel, aux pas lents et fatigués, ou d'un jeune guerrier. Sa couleur est le blanc. Il est syncrétisé avec la Vierge des Mercis".



-"OSÁIN".
"Orisha propriétaire des herbes sauvages et guérisseur. On le syncrétise avec San José".



(Danseuses inconnues du CFN dansant Yemayá)


-"YEMAYÁ".
"Elle est la déesse des eaux salées et de la maternité universelle. Sa couleur est le bleu. On l'identifie à La Vierge de Regla. Dans ses danse on reproduit les mouvements de la mer, tantôt ondulante, tantôt en furie".




-"ORULA" ou "ORUMILA".
"Il est considéré comme le Dieu de la divination. Il est objet de culte, spécialement pour une caste de devins appelés babalawos (père des secrets), réservée aux hommes. Ses couleurs sont le vert et le jaune.
Son équivalent catholique est Saint François d'Assise".



(Danseuse inconnue du CFN dansant Ochún)


-"OSHÚN".
"Elle est la Déesse des eaux douces, de la beauté, de la coquetterie, de la maternité. Elle est l'Orisha des métaux jaunes et de l"amour. Elle est syncrétisée avec la Vierge de la Charité de Cobre. Sa couleur est celle du bronze".



-"ODUDUÁ".
"Il est un orisha du monde souterrain. Il est également connu comme San Manuel".



(Danseuse inconnue du CFN dansant Oyá)


-"OYÁ".
"Propriétaire des éclairs, du cimetière, du vent et des tornades. La plus guerrière de tous les Orishas féminins. Elle danse avec violence, en agitant son attribut, un iruke (queue de cheval noire). Le métal qui lui appartient est le cuivre. Ses couleurs sont toutes celles de l'arc-en-ciel. Sainte Thérèse et la Vierge de la Chandeleur sont ses représentations catholiques".



(Danseur inconnu dansant Agayú)


-"ARGAYÚ".
"Orisha-géant propriétaire de la rivière et de la savane. Il est considéré comme le père de Shangó". Il est associé à Saint Christophe



-"OBA".
"Orisha épouse de Shangó. Elle représente la fidèlité conjugale. Elle a pour équivalents Sainte Rita et Sainte Catherine".



-"INLE".
"Dieu de la pêche et de la médecine. On le compare à Saint Raphaël".


-"OLOFI".
"Dieu Suprême de la Santería. Il n'est pas directement l'objet d'un culte, et on l'invoque simplement".

"Comme fondement des rites de Santería à Cuba, il existe des légendes et des mythes d'une grande beauté poétique, conservés par notre peuple grâce à la tradition orale, et comparables - de par leur projection universelle - aux plus grandes cultures orientales ou méditerranéennes.
L'influence des yorubas a été déterminante pour l'idiosyncrasie, pour les danses et pour les autres créations de notre folklore. Et les oeuvres les plus ambitieuses de la culture cubaine, en musique, danse, littérature, etc… ont également utilisé les thèmes yoruba comme source d'inspiration, démontrant ainsi la grande valeur de l'apport de la culture des lucumies a notre peuple".




"LA CONTREDANSE CUBAINE"


"La Cadena, une des figures de la Contredanse"


"Danse de figures dérivée de la Contradance (sic) française introduite à Cuba, à la fin du XVIIIe siècle, par les immigrants venus d'Haiti. Elle a rapidement conquis les goûts de la population cubaine, en étant dansée "dans les lieux les plus solemnels de la capitale comme dans le plus indécent des changüí du dernier recoin de l'île" (1).
Ses figures étaient simples et inspirées par la ligne et le cercle. "Elles s'éxécutaient uniquemement avec les mains et les bras, les pieds maintenant en permanence le même mouvement" (1).
Chaque figure portait un nom spécifique, et parmi les principales: paseo, lazo, ala, cadena, cedazo, látigo, etc…
La structure musicale de la contredanse consistait en deux parties: chacune de huit mesures à 2/4. Les parties en question se répétaient, ce qui donnait en tout trente deux mesures.
"Sa musique est tour à tour un mélange des airs les plus agréables des opéras ou de chansons vulgaires, les danseurs faisant de vils bonds, très particuliers. Régulièrement dans sa seconde partie elle change, parfois suave, joyeuse, triste, sentimentale ou amoureuse, et ses "sones", pleins de retenue, marquent la mesure de l'imperturbable va-et-vient des pas de danseurs natifs de ces régions…" (1).
Cette danse de la classe moyenne française, en tombant entre les mains des musiciens noirs cubains, a subi des changements dans son interprétation, s'adaptant du même coup aux goûts de notre peuple".


"Cette transformation n'est pas passée inaperçue, y compris chez les auteurs qui ont connu l'époque de son plein essor. "La métrique est la même que celle que jouent les noirs avec leurs tambours et autres instruments pour accompagner leurs danses grotesques et voluptueuses" - expliquait avec parti-pris De Las Barras y Prado au milieu du XIXe siècle (2).
Pichardo en 1836 écrivait: "pendant les cedazos, les danseurs ondulent voluptueusement, en écoutant avec attention, avec toute la coquetterie africaine".
L'ensemble instrumental qui interprétait les contredanses était nommé "orquesta típica" et comprenaient une ophicléide, un güiro, deux violons, deux clarinettes, un trombone, un bugle, une contrebasse et une paire de timbales.
Elle s'est maintenue en tant que danse préférée du peuple cubain jusqu'au milieu du XIXe siècle, et fut ensuite remplacée par d'autres genres comme la danza et le danzón, en lesquels elle s'est transformée.
(1) - Pichardo; "Dictionnaire d'Expressions Cubaines", La Havane 1836.
(2) - Antonio De Las Barras y Prado; "Choses de La Havane au Milieu du XIXe Siècle", Archives du Folklore Cubain, vol.V, 1930".



"LES CONGOS ou PALEROS".



"Mpaka ou récipient magique des congos"


"La vaste region du fleuve Congo fut une des aires géographiques les plus dévastées par le commerce d'esclaves pendant les siècles de la traite nègrière. Avant même la découverte du Nouveau Monde, des esclaves d'origine bantoue avaient déjà été déportés dans la péninsule ibérique.
Les trafiquants européens - principalement portugais et hollandais - négociant avec des roitelets locaux, mettant à sac les villages sur tout le territoire, déversèrent sur toute l'Amérique des millions de pièces d'ébène (comme ils appelaient les esclaves noirs), pour le travail forcé dans les plantations.
Ces Africains apportèrent des cultures variées, de niveau d'évolution diverses, depuis celles des sociétés tribales de l'intérieur du continent jusqu'à celles plus complexes des états côtiers du Bas-Congo. Les cultures qui étaient les moins différentes de celle imposée au Nouveau Monde par les conditions politico-économiques ont pu survivre plus facilement. Ceci explique pourquoi la sculpture sur bois ou sur ivoire, si développées chez les peuples bantous d'Afrique, ou les rites de circonsicion, ainsi que d'autres éléments culturels, n'ont pu s'adapter au nouveau milieu, alors que d'autres - musicaux, religieux, etc…, en rencontrant des éléments similaires à leur culture, ont pu se maintenir jusqu'à nos jours".


"Danse de Palo"


"Beaucoup de noms de ces tribus, que l'on peut rencontrer dans les archives coloniales, comme ceux de: Mayombe, Angola, Loango, Baluba, etc… peuvent aisément être localisés sur une carte d'Afrique. D'autres se sont perdus, soit que les noms des villes africaines aient changé, soit parce que les Européens utilisaient arbitrairement, pour désigner les esclaves, les noms des comptoirs dans lequels ils les avaient achetés, ou bien encore le nom de la nation la plus cotée, à ce moment-là, sur les marchés aux esclaves.
Les hommes provenant des ces tribus, se mélangeant les uns aux autres, ont intégré une population cubaine multi-ethnique, mais on a utilisé, pour les nommer, plutôt des noms génériques comme "yoruba" ou "congo" que des noms de groupes ethniques isolés. Ces appellations se réfèrent en réalité plutôt à des formes de religion, ou à des tranches de population, dans lesquelles les caractéristiques culturelles de ces grandes régions africaines sont majoritaires, et se maintiennent avec plus de vigueur. L'intégration conjointe des éléments ethniques hispaniques et africains, qui pendant quatre siècle ont composé notre peuple - ainsi que leurs apports culturels respectifs - a été telle qu'il est impossible d'établir aujourd'hui de limites exactes, ni de parler de formes culturelles exclusives de tel ou tel groupe ethnique.
Les éléments religieux d'origine conga ont intégré les couches les plus humbles de notre population, noire, métisse ou blanche, qui tentaient de résoudre leurs problèmes économiques ou affectifs avec l'aide du Tata Nganga ou du Padrino. Pour cette raison s'est créé un répertoire de chants et de danses d'une grande variété mélodique et rythmique, qui a lui aussi enrichi de façon notable notre folklore".


"Tambours de Yuka"


"Les esclaves congos amenèrent à Cuba un ensemble de croyances animistes, car ils considèrent tous les éléments de la nature - les pierres, les bâtons, l'eau, etc… - comme lieu de résidence d'esprits ou 'forces', le but des cultes consistant à s'assurer la protection des forces du bien et d'éviter les forces maléfiques.
En réalité on ne peut pas parler d'une seule religion congo de Cuba, mais de sectes anciennes d'origine bantoue, qui présentent toutes divers types de syncrétismes avec d'autres cultes d'origine africaine, et avec le catholicisme populaire. Ces sectes - Briyumba, Palo Monte, Mayombe et Kimbisa - utilisent des rites d'aspect différent, mais toutes leurs cérémonies tournent autour de l'adoration de la nganga, réceptacle magique dans lequel se concentrent différentes forces, auxquelles on rend culte.
Les chants qui vont avec les cultes congos sont à caractère antiphonal; c'est-à-dire qu'alternent des phrases chantées par le soliste ou 'gallo', et d'autres répétées par les membres du choeur ou 'vasallos'. La ligne mélodique de ces chants est courte. Les paroles sont soit entièrement en dialectes bantous, soit dans un dialecte où se conservent des éléments de cette langue, mais comportant également de nombreux mots espagnols, phénomène peu fréquent dans les autres musiques rituelles cubaines (excepté dans les cultes d'Oriente, dont les chants comportent du français, ndt.).
Les instruments les plus courants utilisés par les Congos ou paleros pour jouer leur musique sont: trois tambours ou 'ngoma', une guataca (lame de houe) ou 'ngongui', et de nombreux types de marugas végétaux ou métalliques appelés 'nkembi'.
Dans certaines régions isolées de Cuba il est possible d'entendre d'autres instruments tels le kinfuiti, petit tambour à friction, et les yukas, tambours monomembranophones fait de troncs d'avocatier ou d'amandier, creusés au moyen du feu.
Les danses cubaines d'origine conga peuvent être à caractère religieux, comme la makuta, danse de couple de type convulsif, et les danses de palo, d'origine guerrière. Elles peuvent être également profanes, comme la yuka, qui contient des vestiges d'anciens rites de fertilité, et qui se caractérise par le vacunao (litt. "vaccination", ndt.), choc pelvique violent entre les danseurs.
La danse de yuka a pratiquement disparu des fêtes des congos, et seuls quelques anciens la dansent encore dans les zones rurales de Cuba.
La musique et les danses congos ont une telle valeur, indépendamment de leur contenu religieux, qu'il apparaît nécessaire de les conserver et de les populariser, en tant que manifestation des plus vitales pour notre peuple".


"Firma" représentant (au moins) Sarabanda


"LES FIRMAS."

"À Cuba les congos ou paleros utilisent pour leurs rites ésotériques une grande variété de graphies magiques appelés "firmas" (litt. "signatures"). Ces dessins symboliques, tracés à la craie blanche ou au charbon, représentent les Saints ou "forces" adorées et sont indispensable à la réalisation des cérémonies qui ont lieu à l'intérieur du munanso mbela ou pièce sacrée. Dessinées sur le sol ou sur les objets du culte, elles attirent l'être surnaturel qui réside dans la cazuela ou nganga, le forçant à être présent.
Chaque Saint possède sa signature caractéristique qui varie légèrement d'un groupe d'adorateurs à l'autre, lesquels gardent le secret de la signification de ces tracés.
Il existe également des firmas représentant des humains, et dont les vies seront considérées comme intimement liées à celles-ci.
L'élégance des tracés et la richesse imaginative dans les dessins des firmas congas ont servi de source d'inspiration à de nombreux peintres cubains. L'étude détaillée de ces tracés serait fondamentale pour la recherche sur l'écriture et de la représentation symbolique faite par l'homme de ses concepts abstraits".




("Firma" de Lucero ou Cuatro Vientos)



("Firma" de Chola Wengue)





(ndt.: La même tradition graphique rituelle existe à Cuba chez les carabalí - tout au moins dans les confréries abakuá. Il existe également dans le Vaudou d'Haïti, sans que nous sachions s'il s'est transporté dans l'Oriente cubain).



"LES PREGONES."

(Deux panaderos, boulangers ambulants)


"On donne le nom de pregones aux déclamations chantées qu'utilisent les vendeurs ambulants pour proposer leurs marchandises.
On peut trouver les antécédents des pregones cubains tant en Espagne qu'en Afrique, où ils abondent, soit qu'ils soient constitués de la simple répétition du nom du produit, jusqu'à ceux faits de riches lignes mélodiques et de textes d'une grande beauté poétique.
Les voyageurs qui visitèrent notre île pendant l'époque coloniale ont dénombré la grande diversité de pregones existants, les décrivants parfois comme des cris sans harmonie aucune, et parfois les louant pour leur beauté mélodique. Mais jamais ils ne sont restés indifférents en voyant déambuler les vendeurs qui emplissaient nos places et nos ruelles.
Dans certains des pregones actuels on peut toujours observer l'évidente influence de la musique sémite ou du cante jondo espagnol, qui se sont maintenus au fil des ans. Dans certains autres, l'influence notoire est celle de chants religieux anciens d'origine africaine.
Les pregones, petites compositions d'artistes anonymes du peuple, dans lesquels se reflètent des facettes intéressantes de l'idiosyncrasie cubaine, ont été source d'inspiration pour des compositeurs érudits, dont les oeuvres musicales ont rendu célèbres dans le monde entier des chants de maniceros (vendeurs de cacahuètes), de yerberos (d'herboristes), de bolleras (de patissières), et d'autres vendeurs populaires de notre folklore".


(Vendeur de produits de la ferme et d'animaux de basse-cour)




ALBERTO MORGAN dans le film SOY CUBA (1964).

Membre-fondateur du CFN, Alberto Morgan, chanteur et danseur, fut également acteur dans le film cubano-soviétique de Mikhail Kalatozov (dans lequel apparaît également Jean Bouise), film à sketches mettant en scène des Cubains confrontés à la domination coloniale américaine dans un Cuba pré-castriste. Alberto Morgan y campe le personnage de René, contraint pour survivre de cacher au milieu de ses fruits de la drogue qu'il fournit à de jeunes ressortissants américains. Outre son rôle dramatique, Morgan chante un très beau pregón de frutero, vantant les mérites de ses oranges. Voici quelques clichés extraits du film:






"LA RUMBA".


"En dehors de tout contact avec la religion, les noirs de milieux défavorisés ont créé pour se divertir un style de musique où ils commentaient les évenements politiques et sociaux qui les affectaient d'une manière ou d'une autre. Les genres chantés et dansés, qui dans leurs diverses variantes constituent le "complexe de la rumba", servaient à faire la satire d'un gouvernement vénal, ou bien à commenter une trahison amoureuse, voire à improviser des paroles profondément surréalistes.
Pour les hommes noirs, la rumba a été le moyen de libération et de protestation contre le régime esclavagiste qui niait leur condition humaine, et plus tard contre les gouvernements républicains que les reléguait à un statut marginal.
Pendant que les classes aisées se convertissaient aux modes venues de l'étranger, le noir du petit peuple, dans ses solares, employant les instruments rudimentaires auxquels ses moyens économiques le limitaient (cuillers, caisses de bougies, tambours), créait un style au rythme complexe, profondément cubain dans son essence comme dans sa projection.
Fernando Ortiz soutenait l'hypothèse que la rumba puisse être d'origine gangá; c'est-à-dire qu'elle provenait de ce peuple amené en esclavage à Cuba. Néanmoins, des éléments musicaux d'origine conga, lucumí (yoruba) et carabalí y sont facilement reconnaissables, bien qu'il soit difficile de préciser exactement de quels styles africains il s'agit.
Il existe trois formes ou styles principaux dans la rumba: le yambú, la columbia et le guaguancó".


"La rumba et son jeu érotique ou picaresque"


"Le Yambú est d'origine urbaine et semble être un des styles les plus anciens, puisqu'il est fait référence à celui-ci depuis la fin du XIXe siècle. Son rythme est lent. Il commence par un "lalaeo" chanté - constitué de syllabes répétées, comme claironnées - également appelé "diane". Ensuite le soliste chante des strophes, ce que l'on nomme "decimar", même si la structure utilisée n'a rien à voir avec la forme poétique espagnole de la décima. Le choeur répond à nouveau, avec ce lalaleo particulier. Et ainsi se répète cette alternance entre partie de soliste et de choeur, jusqu'à ce que commence le refrain, dans lequel danse un couple.
La danse est lente, faite de mouvements cérémonieux. Elle symbolise la coquetterie de la femme face à l'homme, et elle se caractérise par l'absence du geste pelvique à signification érotique nommé vacunao. Fait également notable, dans le yambú la partie mise en valeur est celle de la femme, l'homme restant relégué au second plan".


(Rumba de cajón. Vêtu de blanc: Jesús Pérez)


"Un autre style de rumba, plus récent, est celui appelé columbia. En général c'est une danse réservée exclusivement aux hommes, bien que quelques rares femmes se rendirent célèbre en l'interprétant.
L'origine rurale et 'matancera' de ce genre paraît indéniable. Pour les "informantes" (les sept artistes ayant ce grade dans le CFN, voir plus loin, ndt.), la columbia "est de la campagne, et par dessus tout de Matanzas". Se montrant encore plus catégoriques, ils affirment que "après le Chucho de Mena, sur le ligne de chemin de fer, il y avait un hameau qui portait le nom de Columbia, où des groupes de danseurs allaient pour faire la fête".


(Ndt.: le nom de "chucho" est utilisé pour les différents arrêts sur les lignes de train. Sur cette carte de Matanzas, nous avons marqué l'endroit de Mena par un point rouge, endroit supposé de la naissance de la columbia. Cliquez sur l'image pour l'agrandir).

Les textes des columbias en corroborent l'origine rurale, même si, s'inspirant des thèmes les plus divers, ils sont composés de phrases courtes, peu soignés, comportant nombre de mots africains, comme s'ils correspondaient à un langage surgi des plantations de canne et des barracones des raffineries.
La structure (soliste/choeur) est la même que celle des autres styles de rumba, et comporte deux parties clairement définies comme celle du chant seul, et celle du capetillo ou partie dansée.
Le llorao est caractéristique de la columbia et consiste en des lamentations et des exclamations plaintives que lance le soliste - ou gallo - dans son chant.
Avant le capetillo ont également lieu des cantos de puya (litt. "piques", terme tauromachique, ndt.), ou jactancia (litt. "vantardise", ndt.).
Une fois arrivé le moment de la danse, un des participants demande la permission, d'un geste, pour se mettre à danser, et ensuite s'ouvrir un espace entre les gens présents, et saluer les tambours, pour ensuite faire étalage de ses talents de danseur. Plus tard un autre danseur lui succèdera, essayant de surpasser le précédent.
Le jeu ou le style du danseur est dit "piernas y hombros" ("jambes et épaules"), maintenant droite sa position, et souvent il posera en équilibre sur sa tête un verre ou une bouteille pleine. Dans quelques endroits ruraux on a l'habitude de danser avec des machettes ou des couteaux dans les mains.
Le rythme de la columbia "est rapide mais bien assis". L'un des tambours, le quinto, doit souligner chaque mouvement accompli par le danseur, le musicien qui le joue devant être d'une grande compétence dans ce domaine, à cause de la variété des coups qu'il devra marquer".


(Rumba de cajón. Vêtu de blanc, à nouveau: Jesús Pérez)


"Le guaguancó est d'origine urbaine, et on y narre des anectodes de façon poétique.
C'est un style éminament narratif, utilisant souvent l'improvisation. Tous les thèmes susceptibles d'affecter la vie d'un noir du peuple ont été mis en scène dans ses textes: la politique, l'amour, la frustration, le sentiment patriotique… De nos jours ont rajoute une partie dansée, dite "rumba del guaguancó", mais les vieux soutiennent que le guaguancó proprement dit est la partie narrative.
Dans la danse est mise en scène la persécution du mâle envers la femelle: lui, essayant de la "vacciner" - geste pelvique de signification érotique - et elle, essayant de se protéger de l'attaque. Tout au long de cette poursuite et de cette fuite on démontre son habileté à danser.
De nos jours on a énormément stylisé le vacunao, se transformant en mouvements faits à l'aide d'un foulard, ou avec une autre partie du corps.
À la fin du XIXe siècle et au début du XXe il existait des groupes spécialisés dans le guaguancó, qui reçurent le nom de Coros, et qui possédaient des locaux à eux, dans lesquels ils se réunissaient pour répéter et pour perfectionner les textes de leurs chansons.
Chaque quartier de La Havane avait ses Coros, qui rivalisaient entre eux dans l'éxécution et la composition des meilleurs guaguancós:
El Paso Franco, Los Roncos, Los Jesuitos, et bien d'autres, ont écrit un important chapitre de notre folklore pour avoir définitivement modelé une des nos manifestations musicales les plus authentiques.
Le yambú, la columbia et le guaguancó se distinguent parfaitement les uns des autres de par leur rythme et leur style de danse, et ils se conservent intacts dans les quartiers les plus humbles de la population cubaine.
Les instruments employés pour leur éxécution sont simples: trois tambours à lattes légèrement en forme de tonneaux appelés respectivement: quinto, salidor et tres golpes; une paire de marugas métalliques (nkembi) qu'utilisent à leurs poignets les joueurs de quinto dans la columbia; et une paire de claves avec lesquelles le chanteur marque le rythme.
Néanmoins, dans le yambú et parfois dans le guaguancó on remplace les tambours par deux cajones, ou boites en bois. Le petit, généralement fait d'une "caissette de bougies", possède un son plus aigu et joue le rôle de quinto. Le plus grand, fait "d'une de ces caisses de grande taille dans lesquelles on transportait la morue", au son plus grave, jouant le rôle de tumbador. On ajoute en plus des cuillers, des coups frappés sur les portes, et tout ce qui permet à l'homme noir de créer un rythme".




"LES COMPARSAS".

(Farola (litt. "lampadaire" ou "fanal" de comparsa)


"La Comparsa est une danse collective de défilé, qui trouve son origine dans les célébrations profanes des esclaves à l'époque coloniale, tout spécialement à l'époque du Corpus Christi (Fête-Dieu, second jeudi après la Pentecôte, ndt.) et à l'Épiphanie.
Le 6 janvier fut, durant les siècles de la domination espagnole à Cuba, la date la plus importante pour les Africains. Pendant 24 heures on leur permettait de produire les chants et les danses de leur terre d'origine dans les rues de La Havane, de Santiago et d'autres villes de Cuba, jouissant ainsi d'une liberté provisoire.
Les Cabildos des différentes nations, ou groupes ethniques africains (Congos, Lucumíes, Arará, Mandingas, etc…), défilaient jusqu'à la Place d'Armes, rivalisant entre eux de costumes du plus bel apparat et de danses des plus joyeuses, devant le Gouverneur Général de l'île, afin ensuite de recueillir l'aguinaldo - modeste somme d'argent - des mains des autorités coloniales. Ils continuaient ensuite leur défilé dans les quartiers extra-muros de la capitale, jusqu'au soir.
Cachés sous leurs costumes de 'Kulonas', de 'Cocorícamos', de 'Peludos' et de 'Mojigangas', ils oubliaient pour une journée les terribles conditions de vie auxquelles ils étaient soumis par la bourgeoisie esclavagiste."


(Farola de comparsa)


"Avec le temps, ces célébrations ont évolué. Les différents cabildos, motivés par leurs rivalités, adoptèrent des critères et des costumes spécifiques. Ils ont apporté plus de soins à composer leurs chants et leurs danses. Les quartiers populaires étaient représentés par des groupes de métis et de noirs, élégament vêtus, qui entonnaient leurs chants joyeux et agitaient des marugas métalliques. Dans les rues "déroulaient" les tangos ou quadrilles masculins, sans ordre déterminé, utilisant les costumes les plus extravagants. Ainsi, au fil des ans, les éléments des comparsas se rapprochèrent peu à peu de leur style actuel.
Leur existence fut perturbé par des évènements aléatoires. Pendant des années elles ont été interdites par les autorités, meilnes de préjugés, qui les considéraient comme le symbole de la barbarie et de la régression. Néanmoins, cette authentique création de notre peuple a réussi à survivre à toutes les interdictions.
Il existe des comparsas masculines, d'autres féminines, d'autres encore sont mixtes. Les thèmes qui les inspirent peuvent être patriotiques, de satire sociale ou traditionnels.
À la fin du XIXe siècle ont existé des comparsas qui utilisaient de nouveaux éléments théatraux, et dans lesquelles étaient représentés des sortes de drames dansés, contenant des éléments totémiques anciens, comme celle nommée 'El Pájaro Lindo'. 'El Alacrán' est une résurgence de ce style de comparsa."


(Farolas de comparsa)


"Les instruments de musique employés de nos jours sont les plus divers, comprenant des tambours, des cloches, des sartenes, des bombos, des trompettes et des marugas.
Les chants des comparsas ou congas mantiennent une structure soliste-choeur caractéristique de toutes nos musiques d'origine africaine, et sont des refrains simples répétitifs, adressés au public. Le rôle de soliste était autrefois assuré par une chanteuse à la voix puissante et aigüe, appelée 'clarina'. Aujourd'hui, elle est remplacée par des trompettes ou des bugles.
Les textes des chants sont composés par des auteurs anonymes surgis du peuple, généralement membres de cette même comparsa, que les thèmes soient de satire sociale ou de contenu poétique. Dans d'autres cas ce sont simplement des phrases de caractère incongru mais à fort caractère rythmique, improvisés sur une mélodie à la mode (1).
La comparsa avec ses farolas, ses costumes, et le rythme trépidant de ses tambours, est devenue une danse nationale. De par son caractère de danse collective, de par la simplicité de ses pas, et pour avoir réussi à intégrer - sans heurts économiques ni ethniques - tout notre peuple, elle symbolise parfaitement le grand creuset de notre nationalité."


Comparsa El Alacrán (?)


"CHANTS DE COMPARSAS ANCIENNES:

Soliste:
Engüeyeyé tata, engüisi yaye

Choeur:
(id.)

Soliste:
Conguito florido suba la loma, ¡ya voy, ya voy!
Engüisi yaye máfiro maconquiro

Choeur:
(id.)

Soliste:
Maconquiro

Choeur:
Maconquiro, maconquiro, maconquiro"


Comparsa Los Marqueses (?)


"CHANT DE LA COMPARSA LOS MAMBISES: (1937):

Soliste:
El mambí contempla con amor
A la patría de Maceo y Martí
En el jardín del mundo, Cuba es la bella flor

Choeur:
(id.)

Soliste:
Cuba es la perla de las Antillas, mamá
La perla de las Antillas (bis)

Choeur:
Cuba es la perla de las Antillas

CHANT DE LA COMPARSA LA JARDINERA: (1937)

Soliste:
Del jardín cubano cogeremos flores
Y con siemprevivas formaremos un ramo
Al público oyente se lo dedicamos
Somos jardineras, flores, muchas flores

Choeur:
Flores, flores
Ahí viene la jardinera, viene regando flores
Flores, flores
Ahí viene la jardinera, viene regando flores"


(Costumes de défilés)


"CHANT DE LA COMPARSA EL ALACRÁN: (1937)

Soliste:
Oye, colega no te asombre cuando veas (bis)
El Alacrán tumbando caña (bis)
Costumbre de mi paí', mi hermano (bis)
Tumbando la caña (bis)

Choeur:
Sí, sí, tumbando caña


(Farolas de comparsa)


"CHANT DE COMPARSAS MODERNES:

Soliste:
A medio los coco seco
Los coco seco (bis)

Choeur:
A medio los coco seco

Soliste:
Mamá no quiere que yo juegue a la pelota

Choeur:
(id.)

Soliste:
A la pelota, a la pelota
Ella no quiere que yo juegue a la pelota

Choeur:
Mamá no quiere que yo juegue a la pelota"




(Croquis pour un projet de décor, s'inspirant entre autres
de la célèbre gravure du Día de los Reyes)



-Directrice: Marta Blanco

-Assesseur de Folklore: Rogelio A. Martínez Furé

-Chorégraphe: Rodolfo Reyes Cortés

-Scénario: Rogelio A. Martínez Furé
-Décors: Salvador Fernández
-Costumes: María Elena Molinet
-Lumières: Ramiro Maseda
-Administratrice: María Eneriz
-Réalisation de costumes, accessoires et décors: TASNT

(Projet de costume de comparsa ancienne)



(Projet de costume de Changó)



(Projet de costume d'Ochún)

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